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Le placement de Sofia, jeune fille victime de traite

Sofia, jeune fille roumaine, victime de traite des êtres humains et contrainte à commettre des délits a bénéficié l’année dernière d’un placement éloigné dans un centre sécurisé et sécurisant, dédié aux mineurs victimes de traite. Nous revenons sur son parcours, ponctué de nombreux allers-retours.

 

« Si vous ne m’envoyez pas loin, ils vont toujours me retrouver ». C’est avec ces mots que Sofia a formulé à l’équipe d’Hors la rue une demande de placement éloigné, en se présentant spontanément dans les locaux de l’association. 

Lorsque Sofia arrive à Hors la rue ce jour-là, elle présente des traces de coups sur son visage. Elle nous fait alors part des violences dont elle a été victime quelques jours auparavant par un membre de sa famille. Elle nous dit : « ils m’envoient voler mais moi, c’est fini, je ne veux plus ». 

La gravité des violences que Sofia venait de subir a indéniablement précipité la formulation d’une demande de placement. Son éloignement et sa protection consécutive sont aussi le résultat d’un long travail mené en amont par les équipes d’Hors la rue, dès sa rencontre avec la jeune, puis en partenariat avec de multiples professionnels impliqués auprès de cette dernière. 

Ainsi, divers leviers ont favorisé progressivement son adhésion à l’idée d’un placement éloigné. 

Des temps de « rupture » dans le quotidien de Sofia

Hors la rue connaît Sofia depuis de nombreuses années. D’abord rencontrée en rue par notre équipe parmi un groupe de pairs, elle a ensuite bénéficié de diverses activités collectives, organisées dans le cadre des maraudes (activités sportives, culturelles, art-thérapie). Au-delà de ces activités de groupe, les éducateurs ont pu individualiser, petit à petit, la relation avec Sofia dans le cadre de rencontres plus personnelles. C’est au cours de ces moments spécifiques que Sofia, extraite de son groupe d’appartenance, a peu à peu verbalisé le fait d’être contrainte à voler par ses proches et souffrir de cette situation. Son témoignage a alors fait l’objet d’un signalement pour traite des êtres humains auprès des autorités compétentes.

Si ces moments se sont révélés importants dans le cadre de la création et de l’approfondissement du lien avec Sofia, sa participation à plusieurs sorties, en dehors de son contexte habituel de vie, et notamment à un séjour de rupture a certainement été un moteur dans l’affirmation de son choix. Le fait d’être éloignée de son quotidien, d’être au contact d’autres jeunes et d’adultes bienveillants extérieurs à son groupe d’appartenance, de participer à des activités ludiques adaptées à son âge, lui a aussi permis de vivre pendant quelques jours, une vraie vie d’enfant. Ce séjour a aussi été l’occasion d’aborder avec elle sa perception de la réalité d’une vie en foyer et les possibilités dont elle pouvait se saisir, avec l’aide des professionnels, afin de s’extraire de son quotidien d’exploitation.

 

Constance de l’accompagnement et diffusion du discours de protection

Bien que les demandes de Sofia pouvaient parfois sembler décousues, voire contradictoires, l’équipe d’Hors la rue s’est montrée constante dans l’accompagnement proposé et a réitéré tout au long des rencontres l’assurance de son soutien à la jeune (écoute bienveillante, prise en compte de sa situation d’exploitation, accompagnement vers la santé, accompagnement vers un juge des enfants). Ainsi, la constance du discours de protection à l’égard de cette mineure avec la répétition des possibles existants pour elle a pu également être un levier. Il est important de souligner que ce discours de protection a également été diffusé par d’autres partenaires, dans des contextes bien différents (audiences, déferrement, auditions de police…).

La répétition de ce discours, tenu par des adultes différents, et distillé dans des cadres divers est aussi un facteur de verbalisation d’une situation d’exploitation, pouvant faire émerger une demande de protection. 

La prise en compte, par les professionnels de la Justice, du statut de victime pour des enfants qui commettent des délits dans le cadre d’une exploitation et le changement de regard porté sur eux, leur permet enfin de se percevoir autrement que comme délinquant et facilite aussi une sortie effective de l’exploitation.

Un travail de partenariat décisif

Le placement de Sofia n’aurait pu être réalisé sans le soutien de nombreux acteurs (Aide Sociale à l’Enfance, Protection Judiciaire de la Jeunesse, Juge des enfants, Parquet des mineurs, Brigade de Protection des Mineurs, associations spécialisées dans l’accompagnement des mineurs victimes de traite gérant des dispositifs adaptés, avocats spécialisés sur la thématique de la traite des mineurs).  

S’il est important de préciser que l’ensemble des partenaires a travaillé de façon concertée, en partageant les informations dans un cadre restreint, ces derniers ont également su adapter leurs pratiques à la situation extrêmement particulière de cette jeune. Ainsi, on s’aperçoit que dans le contexte très spécifique du placement de mineurs victimes de traite qui implique de nombreux « allers-retours » (fugues, peur de l’inconnu, conflit de loyauté, emprise…), il est parfois requis de faire un « pas de côté » dans sa pratique professionnelle habituelle et de sortir du cadre, afin de proposer la solution la plus adaptée à la singularité de la situation. 

Il semble évident que dans le placement de Sofia, la flexibilité des institutions et des divers acteurs impliqués a concouru à la réussite de cette opération.

Le droit au doute 

Malgré la verbalisation de sa situation d’exploitation et la tristesse qu’elle pouvait ressentir, les demandes de Sofia, au cours de ces années d’accompagnement, ont toujours été ambiguës. Il était en effet très difficile pour elle de se projeter dans un autre monde, un « ailleurs », sans ses proches et sa communauté. Ainsi, s’il était évident qu’elle souffrait de la contrainte qu’elle subissait, Sofia pouvait agir de manière ambivalente vis-à-vis d’Hors la rue et des professionnels qu’elle rencontrait : solliciter un placement, se rétracter,  fuguer de divers lieux de placement, ne plus adresser la parole à Hors la rue pendant plusieurs semaines, disparaître du territoire parisien, venir sur le centre d’appui aux maraudes, formuler le souhait de participer à des activités…

Le récit de l’accompagnement de Sofia permet de se rappeler à quel point il est important de prendre le temps pour accompagner les enfants présumés victimes de traite, de respecter leur temporalité et parfois leurs doutes. Or, on constate souvent que les temporalités des acteurs impliqués peuvent être différentes, voire s’entrechoquer. Ainsi, la temporalité de l’avocat sera différente de celle de l’éducateur mais aussi de celle du policier, ou du juge. On en oublie presque parfois la temporalité de l’enfant ou de l’adolescent lui-même, à qui l’on demande souvent de ne pas se tromper, d’être constant dans ses choix, d’être en adhésion avec des décisions qu’il ne comprend souvent pas.

Le fait de regarder ces jeunes comme des enfants, les écouter, leur accorder du temps, tout en restant constant dans l’accompagnement proposé leur permet aussi de redevenir acteur de leurs choix. 

 

*les noms et les lieux ont été modifiés afin de préserver l’anonymat des personnes concernées

 

Crédits photo : Jean Louis Antoine et l’équipe d’Hors la rue

 

 

Pour aller plus loin 

Vous pouvez consulter notre guide « Mieux accompagner les mineurs contraints à commettre des délits », p 64, Chapitre VI, Accompagner un mineur victime de traite dans un lieu sécurisant et sécurisé.

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