Vers la conscientisation du statut de victime de traite des êtres humains

En 2022, notre équipe a accompagné plusieurs mineurs, en situation d’errance et présumés contraints à commettre des délits, vers la conscientisation de leur statut de victime de traite des êtres humains (TEH). Cet important travail n’est pas sans impact dans notre quotidien.

 

Créer des espaces de confiance

Depuis la fin de l’année 2016, Hors la rue observe en Île-de-France une présence importante de mineurs non accompagnés (MNA) et jeunes majeurs en errance aggravée, de nationalités marocaine et algérienne. Bien qu’il existe des différences au sein même de ces différents groupes, certaines problématiques restent similaires. Ces jeunes vivent dans une extrême précarité, les rendant particulièrement vulnérables à des situations d’exploitation. La majorité des adolescents que nous rencontrons sont d’ailleurs impliqués dans des activités délinquantes (vente à la sauvette, vols à l’arraché, cambriolages), que nous présumons, pour certains d’entre eux, contraintes.

En effet, nos observations de terrain mettent en lumière une conjonction d’indicateurs objectivables relevant de la TEH. Ces constats peuvent ainsi être des premiers leviers au service de l’équipe pour tenter d’aborder avec les jeunes des questionnements liés à une éventuelle contrainte, tout en construisant la relation de confiance, nécessaire pour faciliter la libération de la parole des jeunes. Puis, c’est par la régularité de nos rencontres en rue, l’organisation d’activités individuelles ou collectives, la mise en œuvre d’accompagnements, lors de sorties de garde à vue, de déferrement ou de visites en détention, que l’équipe contribue à se faire identifier comme adultes bienveillants et constants dans l’accompagnement proposé. Ces contextes multiples sont précieux pour permettre de créer un cadre de confiance où le sujet de l’exploitation peut être abordé, les droits des victimes expliqués et un accompagnement adapté proposé.

 

Des leviers de conscientisation divers

Cette année, après plusieurs mois d’accompagnement, plusieurs jeunes ont ainsi pu commencer à exprimer à notre équipe devoir travailler pour « des majeurs » sans toutefois se penser comme victimes d’exploitation et/ou désirer être protégés, encore moins éloignés.

On peut supposer que cette parole libérée a pu être favorisée, en partie, par le type d’emprise exercé sur ces jeunes. Contrairement aux publics originaires d’Europe de l’Est accompagnés par Hors la rue, exploités dans le cadre intrafamilial, il apparaît que l’exploitation des jeunes originaires du Maghreb s’opère par des personnes extérieures à la famille, pouvant ainsi limiter le risque de conflit de loyauté et d’effondrement psychique et favoriser la dénonciation des faits.

Malgré cela, le travail de conscientisation du statut de victime prend du temps et doit s’adapter à la temporalité du jeune. En complément de l’accompagnement psychologique nécessaire pour déconstruire les mécanismes d’emprise, l’équipe a pu s’appuyer sur différents leviers pour accompagner les jeunes à se penser comme victimes.

Ainsi, l’arrestation de plusieurs adultes au cours de l’année, consécutivement à des enquêtes révélant la présumée contrainte à commettre des délits de mineurs suivis par Hors la rue, s’est révélée être un excellent outil pour pouvoir aborder ce sujet avec les jeunes et mettre des mots sur ce qu’ils ont vécu ou vivent toujours. Un travail partenarial avec les avocats de l’antenne des mineurs de Paris a aussi été mis en place dans l’objectif d’organiser des ateliers de sensibilisation aux droits et expliquer les possibilités de régularisation auxquelles les jeunes victimes peuvent prétendre tout en déconstruisant les idées reçues transmises par leurs exploiteurs.

Par ailleurs, dans certaines situations, c’est l’observation par les professionnels de violences exercées de manière répétée et la gradation de celles-ci, qui a pu être utilisée par l’équipe pour pouvoir engager une discussion sur des liens avec une éventuelle exploitation et libérer la parole.

 

 

Hors la rue, fonction de fil rouge

Lorsque les jeunes verbalisent devoir exercer des activités sous la contrainte, notre équipe mène un travail de rude haleine en lien avec les partenaires impliqués dans les situations (PJJ, ASE) et visant à leur protection. Diverses démarches sont ainsi mises en œuvre : proposition et accompagnement au dépôt de plainte sur le motif de la TEH, mise en lien avec des avocats spécialisés et administrateurs ad hoc, accompagnement(s) aux audiences pénales, lien avec les parquets des mineurs, préparation à l’éloignement du mineur dans des dispositifs éloignés et formés lorsque le jeune adhère au projet et mise en lien avec lesdites structures.

Si les supports utilisés par notre équipe permettent de faire prendre conscience aux jeunes de leur statut, nous remarquons que la libération de la parole ne peut véritablement se déclencher que lorsque le mineur est protégé, éloigné géographiquement et psychiquement du lieu d’exploitation dans des structures sécurisantes et formées aux problématiques de TEH.

 

Impacts sur l’association

La récente multiplication d’enquêtes basées sur l’exploitation des mineurs, parfois accompagnés par notre association et leur potentielle reconnaissance en tant que victime de traite est venue bousculer notre quotidien et nous contraint perpétuellement à repenser notre place, notre action.

En effet, nos divers accompagnements vers le droit et les acteurs du monde judiciaire (avocats, juge, administrateur ad hoc…), précipités par l’existence d’enquêtes ou d’instructions, ont suscité plusieurs questionnements au sein de l’équipe, notamment sur notre rôle dans ces accompagnements.

S’il est vrai que le cœur du travail d’Hors la rue demeure le travail éducatif mené au quotidien auprès des jeunes et le renforcement de leurs compétences psychosociales, nous avons été amenés, au cours de l’année 2022 et des divers dossiers impliquant nos jeunes, à nous former sur le déroulé d’une enquête, de son déclenchement jusqu’à l’instruction, et des divers acteurs impliqués. Par ailleurs, le passage à la majorité de certains mineurs présumés victimes de traite a également contraint l’équipe à appréhender rapidement les questions de titre de séjour au titre de la traite mais aussi les modalités d’orientation vers des dispositifs d’éloignement de victimes majeures (réseau Ac.Sé).

Cette multiplication d’activités en lien avec la justice (dépôt de plainte, rédactions de notes sociales pour les audiences, éventuels témoignages des salariés en audience), vient aussi poser la question de la potentielle exposition de notre équipe. En effet, nous pouvons être les confidents des jeunes qui se livrent sur leur vie et nous demandent de les assister dans leur dépôt de plainte contre des personnes susceptibles d’être arrêtées, placées en détention. Présents chaque semaine sur les lieux d’activités de nos jeunes mais aussi parfois témoins de divers rapports de domination voire d’exploitation qui se jouent devant nous, la question des risques potentiels que nous encourons s’est posée, notamment lors de jugements où le nom d’Hors la rue peut être indirectement associé.

Ainsi, si nos activités d’accompagnement juridique et le travail de renforcement des compétences des jeunes ne sont pas antagonistes, nous devons poursuivre notre réflexion sur leur répartition afin de parvenir à une balance optimale entre les deux afin de poursuivre un seul objectif : parvenir à une protection efficiente de ces jeunes.

 


© illustration : Johan Garcia

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