Plus d’une vingtaine de responsables d’importantes ONG, dont La Cimade, interpellent, dans une tribune au « Monde », la première ministre, Elisabeth Borne, sur le non-respect persistant, par la France, des dispositions de la Convention des droits de l’enfant, en dépit d’une décision du comité chargé de surveiller sa mise en œuvre.
Dans une décision du 25 janvier 2023, le Comité des droits de l’enfant a conclu que la France n’avait pas respecté ses engagements à l’égard de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) qu’elle a pourtant ratifiée en 1990.
En effet, saisi de la situation d’un mineur isolé arrivé sur le territoire français à l’âge de 16 ans et laissé à la rue, le Comité a constaté que la France avait procédé à une évaluation sommaire de son âge, que le jeune n’avait pas été accompagné d’un représentant légal pendant la procédure administrative, ni d’un interprète dans sa langue maternelle, que les recours n’étaient pas suspensifs et que les documents d’état civil qu’il avait présentés avaient été contestés sans même procéder à un examen en bonne et due forme des informations qu’ils contenaient. De surcroît, la France n’a pas respecté l’injonction du Comité de placer l’enfant dans un foyer pour mineurs jusqu’à sa majorité.
Ainsi, le Comité a conclu que la France avait violé les garanties attachées à l’intérêt supérieur de l’enfant et au droit à l’identité, mais également les droits d’obtenir une protection et une aide spéciales de l’Etat afin de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants.
Les recours doivent être suspensifs
Ces constats confortent les observations que nos associations font depuis de nombreuses années sur la situation des mineur.es isolé.es.
Afin que de telles violations ne se reproduisent pas, le Comité adresse plusieurs demandes à la France.
D’une part, la procédure de détermination de l’âge des mineur.es isolé.es étranger.es devrait être mise en conformité avec la Convention en garantissant : que les documents d’identité présentés soient pris en considération et leur authenticité reconnue dès lors qu’ils ont été établis par les autorités du pays concerné ou que celles-ci ont confirmé leur validité a posteriori ; qu’un représentant légal soit désigné sans délai pour assister le mineur dès la phase de mise à l’abri et durant toute la procédure.
D’autre part, la France devrait adopter des mesures assurant que tout jeune se déclarant mineur soit effectivement considéré comme un enfant et bénéficie des droits découlant de ce statut durant toute cette procédure. Cela implique qu’en cas de contestation de sa minorité, les recours qui lui sont ouverts doivent être suspensifs afin de garantir sa protection jusqu’à la décision définitive du juge.
Le respect total de la décision du comité
Ces demandes du Comité sont similaires à celles formulées par nos organisations dans un document intitulé “Mettre fin aux violations des droits des mineur.es isolé.es – 90 propositions pour une meilleure protection”, paru le 7 février dernier.
L’État français doit informer le Comité des mesures qu’il a prises afin de donner effet à ses constatations dans un délai de 180 jours à compter de la décision.
Alors que se profile l’échéance de ce délai sans qu’aucune annonce particulière ait été faite, nous demandons à la première ministre, Elisabeth Borne, de prendre les mesures nécessaires pour respecter la décision du comité afin que notre pays, sur l’ensemble de son territoire, hexagonal et ultramarin, garantisse pleinement l’intérêt supérieur de ces enfants et respecte leurs droits fondamentaux.
Signataires :
Fanélie CARREY-CONTE, secrétaire Générale de la Cimade
Catherine DELANOE DAOUD, présidente de l’AADJAM (Association d’Accès aux Droits des Jeunes et d’Accompagnement vers la Majorité)
Véronique DEVISE, présidente du Secours Catholique – Caritas France
Emilie DEWAELE, présidente d’InfoMIE
Adeline HAZAN, présidente de l’UNICEF France
Dr Florence RIGAL, présidente de Médecins du Monde
Vanina ROCHICCIOLI et Christophe DAADOUCH, co-présidents du Gisti
Philippe CHEVILLARD, président d’ECPAT France
Geneviève COLAS, coordinatrice du Collectif “Ensemble contre la traite des êtres humains”
Marie Charlotte FABIE, directrice France de Safe Passage International
Noam LEANDRI, président du collectif ALERTE
Didier FASSIN, président du Comede
Armelle LE BIGOT-MACAUX, présidente du Conseil français des associations pour les droits de l’enfant (COFRADE)
Joran LE GALL, président de l’ANAS (Association Nationale des Assistants de Service Social)
Armelle GARDIEN, présidente de RESF
Michel GUILBERT, président de Clowns Sans Frontières – France
Renaud MANDEL, président de l’ADMIE
Yann MANZI, délégué général d’Utopia 56
Jean-Claude MAS, délégué général de Futur Au Présent
Kim REUFLET, présidente du Syndicat de la magistrature
Christophe ROBERT, délégué général de la Fondation Abbé Pierre
Lise-Marie SCHAFFHAUSER, animatrice du pôle Innovation de l’UNAPP (Union Nationale des Acteurs de Parrainage de Proximité)
Pierre SUESSER, co-président du Syndicat national des médecins de protection maternelle et infantile
Nicolas TRUELLE, directeur général d’Apprentis d’Auteuil
Comité des droits de l’enfant – Décision CRC/C/92/D/130/2020
© illustration : Johan Garcia