Le vendredi 18 octobre, à l’occasion de la journée européenne de lutte contre la Traite des Êtres Humains (TEH), l’ONDRP 1 et la MIPROF 2 ont publié les résultats de la troisième enquête annuelle sur les victimes de TEH. Lors de cette matinée consacrée à la thématique, Nawel Laglaoui, directrice de Hors la rue a participé à une table ronde sur le parcours d’accès au droit des mineurs victimes. Au cours de cette présentation, elle a mis en lumière le travail de repérage, les difficultés qui se posent face à l’identification et la prise en charge des victimes et l’importance de continuer à proposer des réponses adaptées et innovantes dans une démarche partenariale. Nous avons restitué son intervention.
Du repérage à la prise en charge du mineur victime
Repérer, évaluer, signaler
Repérer. Tout d’abord, l’association mène des maraudes pluridisciplinaires sur les lieux d’activité, d’errance ou de pause des jeunes dont l’objectif est de repérer les mineurs victimes de TEH, de créer une accroche, un lien de confiance qui passe par des activités socio-éducatives en rue et des entretiens qui nourrissent nos évaluations au regard d’indicateurs pré établis qui, réunis constituent un faisceau d’indices permettant d’identifier des situations de traite potentielles.
Notre second objectif est de faire émerger chez ces jeunes un désir de sortie d’exploitation et de protection avec toutes les difficultés que cela peut poser.
Evaluer. Les victimes que nous repérons ne répondent pas à un seul et même profil mais peuvent présenter des caractéristiques communes telles que :
- L’origine et la forme d’exploitation,
- Les éléments de vulnérabilité qui vont favoriser leur recrutement,
- La situation d’isolement des enfants victimes de TEH avec un fonctionnement clanique 3 .important,
- Une dépendance matérielle et affective très forte envers la famille et/ou la communauté,
- Une mobilité entre différents pays européens,
- Des conduites addictives très jeunes, souvent « pour faire face »,
- Des prises de risque de tout type.
Ces éléments sont à mettre en corrélation avec des indices physiques (carences, violence, auto mutilation), des éléments du comportement et du discours (discours stéréotypé et fuyant du jeune) et des indices découlant du dossier judiciaire du jeune.
Nos évaluations sont complétées par les informations de différents partenaires associatifs et par des regards croisés avec nos partenaires (Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), Aide Sociale à l’Enfance (ASE), avocats). Ces échanges sont fondamentaux pour apporter une réponse cohérente et concertée aux victimes.
Signaler. Nos actions de repérage et d’évaluation des situations nous permettent de nourrir des signalements adressés au Parquet des mineurs et à la Cellule départementale de recueil de traitement et d’évaluation (CRIP) RIP à partir de plusieurs éléments :
- L’identité,
- La situation de vie,
- La santé,
- L’environnement du mineur,
- Les éléments qui nous conduisent à la suspicion de traite,
Après le signalement, le parquet peut prendre une OPP et nous nous mettons à disposition pour préparer et faciliter le placement avec le jeune, le Parquet, l’ASE et/ou la PJJ, le foyer d’urgence et le foyer éloigné
Les difficultés rencontrées
1. Des difficultés relatives à l’identification des victimes :
- Des enfants rendus invisibles par les exploiteurs : non enregistrement des naissances, utilisation de faux documents, d’alias ou documents d’emprunt pour le passage des frontières,
- Le manque de connaissances à ces formes d’exploitation,
- Des poursuites pénales et des incarcérations des victimes malgré le principe de non sanction posé par la Convention du conseil de l’Europe.
Il est donc nécessaire de continuer à améliorer la formation et la coordination de tous les acteurs qu’il s’agisse des acteurs du social, de la police, de la justice et de la protection de l’enfance, et d’innover sans relâche pour œuvrer à une protection effective.
2.Des difficultés relatives à la protection effective de ces enfants :
- Le phénomène d’emprise et de conflit de loyauté empêchant les mineurs de se considérer comme victimes et d’adhérer à une protection,
- Des lieux non adaptés où les adresses sont connues par des exploitants et dont il est facile de fuguer,
- La question du circuit et de la multiplicité des acteurs pour atteindre ces structures.
Ces constats demandent de travailler sur des schémas d’échange d’informations y compris transfrontaliers qui soient applicables par tous les partenaires pour avoir un circuit clair de l’identification à la prise en charge. C’est l’esprit du protocole de protection des mineurs victimes de Traite que nous devons sans relâche continuer d’améliorer.
Cela demande également de créer des structures éloignées du territoire et spécialisées dans l’accueil des victimes, de multiplier les palettes de réponses (foyer spécialisé avec adresse tenue au secret, famille d’accueil, lieux de vie…).
Toutes les difficultés évoquées nous obligent à renforcer la formation, les moyens humains et financiers dédiées au repérage et à la prise en charge des mineurs victimes de TEH.
Le chemin parcouru ces dernières années pour mieux identifier et protéger les victimes notamment à Paris est indéniable. Quand il y a quelques années les associations étaient seules à alerter les autorités sur les situations de TEH, nous pouvons aujourd’hui saluer la bonne volonté des uns et des autres même s’il nous reste encore beaucoup à construire collectivement pour repérer et protéger de manière effective les mineurs victimes de traite. Nous attendons du plan qu’il permette d’améliorer la situation et qu’il renforce les moyens d’agir de toutes les associations et Institutions qui œuvrent au repérage et à la prise en charge de ces mineurs.
L’enquête « La traite des êtres humains en France. Profil des victimes suivies par les associations en 2018 »
La Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) et l’ONDRP, en partenariat avec les associations du Collectif « Ensemble contre le traite des êtres humains » dont Hors la rue fait partie, mènent depuis 2017 une enquête annuelle permettant de fournir des données quantitatives et qualitatives sur le profil de près de 3 000 victimes de TEH et d’exploitation suivies en 2018 par 53 associations et établissements.
Découvrez les résultats de l’enquête
1. Institut National des Hautes Etudes de la Sécurité et de la Justice.
2.Mission Interministérielle pour la Protection des Femmes Victimes de Violences et la Lutte contre la Traite des Êtres Humains.
3.Groupe de personnes réuni autour d’un chef.