TOUS LES ENFANTS ONT LE DROIT À UNE VIE D'ENFANT

L’accompagnement renforcé des enfants en situation de travail quotidien

 

Ces jeunes en activité intensive de mendicité sont des enfants roms roumains originaires de la ville de Tandarei que nous suivons depuis 2020. Ils appartiennent à la même communauté élargie que le principal groupe d’adolescents contraints à la commission de délits que nous accompagnons depuis plusieurs années.

 

Sur les 60 enfants que nous avons vus en tournée de repérage ou de suivi dans différents lieux de mendicité dans le département de la Seine-Saint-Denis, 40 sont directement affiliés à ce groupe.

Si nous avons proposé des activités éducatives à la majorité d’entre eux, il s’en détache un groupe de 12 jeunes avec qui nous avons mis en place un suivi renforcé. Ces derniers ont entre 7 et 15 ans, et sont majoritairement en mendicité quotidienne dans les rues du 93. Ils opèrent principalement en sortie de grands axes routiers ou dans des zones de fort trafic. Les jeunes pratiquent soit la simple mendicité, soit le lavage de pare-brise.

La grande majorité des jeunes accompagnés vivent en bidonville avec leur famille. Quelques-uns sont hébergés en hôtel social. Leurs conditions de vie sont donc très précaires. Si la mendicité quotidienne constitue une activité de survie économique pour l’ensemble du groupe, elle peut, dans certaines situations, être associée à de l’exploitation de mineurs.

 

Un suivi éducatif riche et intense

En 2021, ces jeunes ont pu bénéficier d’un accompagnement renforcé avec un accueil hebdomadaire qui leur a été dédié sur notre centre d’accueil de jour d’appui aux maraudes, ainsi que 2 à 3 tournées par semaine, mais aussi un grand nombre d’accompagnements vers des structures de soins. Notre présence régulière auprès de ces jeunes nous a permis d’animer de nombreuses activités et sorties, à visée ludique puis pédagogique : sport, art-thérapie, cuisine, musique, socio-esthétique, sorties culturelles, FLE. Toutes ces activités nous ont servi de portes d’entrée pour évoquer divers sujets relatifs à leur quotidien, leurs besoins, leurs envies et leurs rêves. En particulier, nous avons beaucoup abordé la santé, à travers l’hygiène, l’alimentation, le soin du corps, mais aussi la santé psychique. À ce titre, nous avons mis en place un projet d’art-thérapie centré sur les émotions.

La relation de confiance que nous avons développée avec les enfants a culminé avec l’organisation d’un court séjour de rupture avec six d’entre eux, en juillet 2021. Nous sommes partis deux jours en Normandie. Ce voyage a été une occasion d’éloigner les jeunes de leur quotidien précaire et pollué, de découvrir la mer et la campagne. Nous avons axé ce séjour sur le plaisir de la découverte, en suscitant la curiosité et le dépassement de soi. Cela a constitué un moment privilégié de discussions et d’individualisation, qui a pu faire émerger des prises de conscience et des demandes.

 

 

Un nouveau public : les premiers pas vers le droit commun

Dans son histoire, Hors la rue n’est jamais intervenue auprès d’enfants aussi jeunes : sur les 60 jeunes rencontrés en tournée, 34 avaient moins de 13 ans, et sur les 12 enfants avec qui nous avons eu un suivi renforcé, ils étaient 8. Aussi l’équipe a-t-elle dû repenser ses pratiques et les adapter. De fait, ces enfants présentant un grand nombre de carences éducatives et un fort éloignement de toutes les institutions, l’enjeu fondamental a été de les familiariser avec le cadre d’une relation bienveillante et étayante, et de les rapprocher des structures de droit commun. Ainsi, nous avons beaucoup sensibilisé les jeunes aux possibilités de soins, de scolarisation, d’accès à la culture, pouvant les aider à sortir de leur situation précaire. Par ailleurs, l’objectif d’un tel accompagnement est que les enfants ne suivent pas leurs pairs plus âgés dans la commission de délits, à l’arrivée de l’adolescence.

 

 

Notre intervention avec les jeunes en situation de travail quotidien engendre un suivi complexe, jalonné de difficultés relatives à leurs carences. La problématique la plus importante a été la communication, car les jeunes parviennent difficilement à s’exprimer personnellement, à mettre des mots sur leurs envies, leurs besoins et leurs émotions. À ce titre, il est également particulièrement ardu d’individualiser, les enfants ayant un rapport au groupe très prononcé, celui-ci étant souvent associé à une certaine méfiance envers les adultes extérieurs à leur environnement. Par ailleurs, notre accompagnement s’est heurté à l’absence ou au manque d’investissement des parents et à une relative difficulté à s’entretenir avec eux.

Le rapport des jeunes à la consommation a également représenté un obstacle de taille à la création d’une relation éducative adaptée (demande systématique d’achat de vêtements, de médicaments, de nourriture…). En effet, nous avons répondu à certaines demandes pour pallier des carences que nous avons observées et aborder des sujets éducatifs. Néanmoins, un tel travail a pu être en tension avec les envies immédiates des jeunes et compromettre les échanges. Les enfants ont exprimé de plus en plus de demandes de dons matériels auxquels nous ne pouvions pas répondre, car elles ne relèvent pas de notre mission éducative.

Enfin, parallèlement, il a été complexe de rapprocher les enfants des différentes institutions du droit commun, en particulier de l’école. Néanmoins, nous avons tout de même réussi à faire accepter les soins de santé à plusieurs jeunes, ce qui s’est traduit par des médiations avec les professionnels de santé. Nous avons effectué 19 accompagnements dans des structures de santé, avec 5 jeunes différents de 9 à 15 ans, pour des soins dentaires, mais aussi des consultations ORL, d’ophtalmologie, ou encore des bilans de santé globaux. Au fil du suivi quasi quotidien, nous avons pu voir émerger des questionnements, des besoins et des souffrances, que nous avons soutenus jusqu’à la verbalisation de demandes. Par exemple, à travers le travail sur l’estime de soi et les émotions que nous avons mis en place par des activités socio-esthétiques avec des jeunes filles, nous avons pu recueillir et encourager leurs demandes naissantes, ce qui a abouti à des prises de rendez-vous. Aujourd’hui, nous observons une vraie évolution dans la relation avec ces enfants. Nous pouvons beaucoup plus facilement individualiser avec eux, discuter de leurs besoins, et nous sentons une prise de conscience sur les possibilités de changement dans leur situation. Ces interventions mettent en lumière l’importance de l’accès à la santé en tant que levier important pour entrer en relation avec les jeunes les plus éloignés du droit commun.

Étude de cas : la jeune Clara, 9 ans

Clara est une jeune fille très timide, qui parlait très peu, qui accompagnait toujours le groupe sans s’exprimer vraiment. Elle évolue au sein d’une fratrie dont tous les membres ont tendance à se mettre en retrait.

Cependant, l’accueil au centre d’appui aux maraudes et le séjour de rupture ont donné à Clara un espace pour s’amuser, découvrir et apprendre. Elle a manifesté un intérêt très fort pour la peinture, la socio-esthétique et la cuisine. Dans un premier temps, elle a silencieusement accompagné les autres lorsque nous les avons amenés à leurs rendez-vous médicaux, mais a par la suite fini par être elle-même en demande.

À la fin de l’année, on commence un suivi dentaire qui se poursuit en 2022.

Clara a toujours de grosses difficultés d’apprentissage et des lacunes en français, mais nous voyons de bonnes perspectives pour la suite de son accompagnement : elle accepte les soins, adhère bien à notre projet sur les émotions et présente un léger intérêt pour le FLE. Elle formule même de timides envies de scolarisation.

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