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Bilan à un an du projet expérimental auprès des mineurs étrangers en errance aggravée

En octobre 2021, Hors la rue et l’association Aurore ont décidé de répondre ensemble à l’appel de la Mairie de Paris afin de reprendre un dispositif unique en son genre d’aller-vers, d’accompagnement et de mise à l’abri des mineurs étrangers en errance dans la capitale. Un an plus tard, nous dressons un premier bilan de cette année de fonctionnement.

 

Rappel des fondamentaux du dispositif

• Des maraudes quotidiennes et pluridisciplinaires et une mise à l’abri de 12 places accessibles aux jeunes garçons repérés en rue.

• Un fonctionnement 24h/24 et 7j/7 pour favoriser l’adhésion des jeunes les plus vulnérables à un accompagnement éducatif et médical soutenu et, éventuellement, à une protection pérenne.

• Des équipes polyvalentes, arabophones et hispanophones, sur la mise à l’abri et en rue (travailleurs sociaux, art-thérapeute, éducateur sportif, infirmière, chargée de mission de lutte contre la TEH).

• Un projet inscrit dans une dynamique partenariale très dense avec différents acteurs associatifs et institutionnels (ASE/PJJ/hôpitaux) et apport de 2 postes clés en soutien externe à l’équipe : un médiateur de l’Unité d’Assistance aux Sans Abri et un éducateur de la Protection Judiciaire de la Jeunesse.

 

L’aller-vers dans la rue

Le travail de rue a été la première porte d’entrée vers ce public qui n’est pas du tout en recherche d’une protection. Il a permis l’observation et la compréhension des dynamiques de plusieurs groupes d’enfants qui se sont succédés sur les territoires tout en favorisant le maintien du lien avec les jeunes non accueillis sur notre mise à l’abri.

Ce sont les quartiers de Barbès, en journée et de Trocadéro, la nuit qui ont été principalement investis par les jeunes cibles dont la très grande majorité sont marocains. Cela constitue une spécificité parisienne parmi les métropoles françaises, qui sont principalement concernées par l’errance de MNA algériens. Ces lieux sont fréquentés par les mêmes jeunes qui circulent d’un quartier à un autre en fonction de leurs besoins (socialisation avec des pairs, restauration, deal et revente d’objets volés).

Il y a sur l’ensemble des sites une très forte présence de jeunes majeurs vulnérables et adultes qui s’immiscent dans nos prises de contact avec les mineurs et avec lesquels il a fallu composer. Notre équipe a été très bien identifiée sur ces deux sites et les jeunes nous ont abondamment sollicités, ont échangé leurs numéros de téléphone ou leurs Facebook, et émis les premières demandes les concernant : informations, soins, conseils et mise à l’abri d’urgence.

Enfin, les tournées effectuées sur les lieux de squat (locaux abandonnés, passerelles, tentes) au métro Pasteur, Sèvres-Lecourbe et Bibliothèque ont permis de retisser du lien avec les jeunes les plus marginalisés et de les accompagner, progressivement vers notre mise à l’abri.

L’accueil à la mise à l’abri

La mise à l’abri, conçue comme un outil complémentaire au travail de rue, a été expérimentée sur 2 sites au cours de l’année. Sur le premier, situé dans le 15e arrondissement, les écueils ont été nombreux : demandes d’admissions supérieures à la capacité d’accueil, nombreuses venues hors des horaires d’ouverture, multiples intrusions encouragées par la configuration des locaux, problèmes avec le voisinage et les passants.

Une fois installés dans de nouveaux locaux rénovés et adaptés aux besoins (plain-pied, 4 chambres dont une isolée pour l’accueil de jeunes filles, excentré des lieux d’errance et donc fréquenté surtout le soir), nous avons été plus en mesure d’expérimenter un accueil évolutif permettant l’adhésion progressive des jeunes, en fonction de leur profil et de leurs besoins, à un nouveau cadre de vie.

La mise à l’abri remplit en effet plusieurs fonctions : espace de répit et de recueil d’urgence pour les jeunes les plus en danger sur le territoire, elle constitue également un outil clé pour le renforcement de lien avec les jeunes en phase d’accroche, grâce à la souplesse de l’accueil, et un point de départ à un accompagnement individuel renforcé

 

L’accompagnement, partout, tout le temps, envers et contre tout

L’accompagnement médico-éducatif développé en rue comme sur la mise à l’abri a démarré par la proposition d’activités collectives de médiation qui permettent de faire accroche avec les pairs, d’offrir une pause ludique dans un quotidien violent et laborieux et éventuellement, lorsqu’une régularité s’instaure, de valoriser et de renforcer des compétences psychosociales clés.

C’est également la réponse à la demande de soins qui a constitué, toute l’année, un important levier d’accroche, l’équipe en rue et le lieu de mise à l’abri étant clairement identifiés comme permettant d’accéder aux soins. Ainsi, l’entrée dans un parcours de soins permet l’individualisation de la relation qui est indispensable à toute projection dans une protection ; elle constitue en ce sens un indicateur important d’évolution positive d’un accompagnement.

Pourtant, les freins à cet accompagnement sont des plus conséquents : la réticence au soin physique et psychique, l’incapacité à tenir l’attente et la continuité des soins et avant toute chose, la consommation de produits psychotropes qui est généralisée chez l’ensemble des jeunes suivis.

Ces consommations, au-delà des risques majeurs qu’elles engendrent sur le bon développement physiologique et psychologique des jeunes concernés (dont certains ont moins de 15 ans), participent des mises en danger régulières occasionnées lors des délits commis à la chaîne et avec violence et des bagarres avec arme blanche suscitant accidents et blessures quotidiennes. Elles induisent également une minimisation de la douleur et une non-priorisation du soin.

Les entraves à la bonne marche de notre projet sont des plus conséquentes à commencer par l’omniprésence sur les lieux d’errance de jeunes majeurs vulnérables sans perspectives ni accompagnement et la persistance de l’emprise de tiers sur les mineurs, notamment par le recours à l’emprise chimique qui les maintient dans un quotidien fait de transgression et de violences auto et hétero-agressives.

Les jeunes rencontrés cette année sont en effet tous des adolescents blessés par un parcours multi-traumatique qui s’exprime dans des agirs violents, un sentiment de toute puissance, une révolte contre le territoire d’accueil et un mouvement de fuite permanent. La nécessité de participer à la survie économique de la famille et le devoir de loyauté envers le groupe de pairs, enfin, viennent s’opposer à nos tentatives d’entrer en lien et la plupart des jeunes demeurent dans l’incapacité de se projeter dans un futur stable et sécurisé.

Face à cette réalité complexe, l’équipe s’est accrochée aux bonnes pratiques qui ont fait leurs preuves :

• Instaurer un dialogue en se saisissant de tous les moments et de tous les prétextes (temps de partage d’une activité ou d’un accompagnement) pour faire connaissance, sans intrusion dans l’intime mais en laissant le jeune se raconter ;

• Faciliter l’entretien des liens avec son entourage (accès au téléphone et à internet) et tant que possible prendre part aux échanges pour participer de ses liens ;

• Réunir tous les acteurs autour de la situation du jeune en favorisant l’aller-vers et les rencontres in situ (ASE, PJJ, avocat) ;

• Accepter les refus, les allers-retours et le rapport de consommation de services et garder le lien via les réseaux sociaux, avec le jeune qui a repris la route…

 

Il nous faudra, dans la poursuite de cette expérimentation, faire preuve de toujours plus d’inventivité, de ténacité et de faire-ensemble pour concilier la souplesse de l’approche de rue et les contraintes d’un accueil de nuit, consolider une stratégie commune de gestion des conflits, notamment pour réduire les violences entre les jeunes et à l’égard du personnel, continuer à travailler avec les groupes en présence tout en renforçant l’accompagnement individualisé, et enfin impliquer l’ensemble des acteurs associatifs et institutionnels concernés dans la recherche et le soutien aux structures innovantes susceptibles de prendre le relai et de mettre en œuvre une protection pérenne.

 


© photo : Daniele Tocco

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