Regards croisés : Geneviève Lefebvre et Olivier Peyroux, membres du CA

 

1/ Pouvez-vous vous présenter ?

Geneviève Lefebvre : J’ai 69 ans, je suis retraitée depuis 2017. J’ai exercé la quasi-intégralité de ma carrière en tant que juge des enfants à Beauvais, Nanterre et Paris.

Olivier Peyroux : Je suis sociologue. J’ai longtemps été salarié chez Hors la rue, ce qui m’a amené à écrire des livres sur le sujet de la traite des êtres humains et à cofonder 2 autres associations : Trajectoires et Koutcha. Je réalise également des missions d’expertise pour des organisations comme l’ONU ou le conseil de l’Europe ainsi que des expertises judiciaires.

 

2/ Depuis combien de temps êtes-vous membre au sein du conseil d’administration de l’association Hors la rue et les raisons de votre implication ?

J’ai intégré le conseil d’administration en 2006. J’avais un peu hésité au début au regard de mes fonctions, ne souhaitant pas d’interférences avec mon métier. Étant donné que l’association ne pouvait être mandatée par un juge pour l’accompagnement des mineurs étrangers, j’ai accepté la proposition. En effet, on ne peut pas être à la fois celui qui ordonne et celui qui organise l’action : il faut une indépendance, une distance. Les raisons de mon intérêt pour les actions menées par Hors la rue remontent à de nombreuses années, lorsque j’étais encore en activité. En effet, j’ai été à l’origine de la création d’un cabinet pour les MIE (Mineurs isolés étrangers) à Paris au début des années 2000, ce qui m’a amené à rencontrer Parada, alors seul acteur de terrain à intervenir auprès des mineurs roumains en errance.

Je suis membre du conseil depuis 4 ans. Après avoir travaillé 7 ans à Hors la rue comme directeur adjoint, je souhaitais continuer à contribuer autrement au travail tellement nécessaire de l’association. La situation des enfants en errance s’aggrave d’année en année. La prise de conscience des autorités est essentielle pour que des mesures adaptées soient prises. Cela nécessite de documenter et de relayer ce à quoi ils sont confrontés. En m’impliquant dans le CA, je souhaite soutenir l’équipe dans ce travail difficile qui consiste à aller à la rencontre des enfants les plus éloignés de la protection, décrypter les violences et les formes d’asservissement qu’ils endurent et alerter sur ce qu’ils subissent.

 

3/ Pouvez-vous nous expliquer votre rôle en tant qu’administrateur ?

Mon rôle consiste à assister aux réunions. Même si je ne maîtrise pas l’ensemble des sujets, j’essaie d’amener mon expertise dans medomaines de compétence, à savoir la justice des mineurs et les modalités éducatives. Je suis restée attachée aux sujets liés à l’enfance, aux mineurs étrangers, à la place des enfants dans la société.

Il y a tout d’abord le rôle plus «classique », c’est-à-dire de participer aux différents processus ou aux différentes décisions qui engagent l’association. Ensuite, j’ai également un rôle avec lequel j’aide l’équipe à mieux comprendre et appréhender les phénomènes de traite des êtres humains à travers des rencontres et des formations que je
dispense.

 

4/ D’après vous quels sont les enjeux de la protection de l’enfance concernant les mineurs étrangers en errance aujourd’hui en France ?

Quand j’ai cessé mon activité, le prisme de la question de la majorité et de la minorité des MIE et de l’endroit où l’on pouvait les placer prenait beaucoup de place à défaut de se concentrer sur l’accompagnement éducatif qui pour moi est central. Il me semble essentiel que l’accompagnement se concentre sur la compréhension de qui sont ces jeunes, leur donner une place dans la société sans renier leur origine et leur culture, sinon on en fait des adultes frustrés et ce n’est bon pour personne. J’ai toujours considéré qu’il fallait maintenir du lien avec les familles d’origine afin que les enfants ne se créent pas un faux self. C’est pour moi une question fondamentale : avoir une place ce n’est pas oublier qui on est. Aujourd’hui encore, la question du tri des jeunes n’est pas réglée et l’accompagnement éducatif de ces jeunes, dont les familles ne sont pas là, n’est pas abordé. La traite des êtres humains est aussi un enjeu car encore beaucoup traitée sur le plan sécuritaire, ne s’intéressant pas suffisamment au statut de victime. Il est important de prendre en considération l’aspect, trop souvent occulté par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) de l’ancrage, de ces jeunes qui restent dans le réseau car il s’agit de leur seule famille. J’ai un souvenir très cuisant d’un jeune roumain qui commettait délit sur délit et qui, un jour, en a eu marre. Il a alors été placé en lieu de vie et a résisté malgré les tentatives de sa famille qui venait régulièrement pour le récupérer. Un jour, il s’est suicidé car il avait appris qu’à ses 18 ans l’ASE se retirerait de sa prise en charge et comme il s’était coupé de la famille, il se retrouverait sans rien. La prise en charge qui saute à 18 ans est pour moi criminelle et je serais favorable à un statut de l’enfance jusqu’à 16 ans et un statut jeunesse jusqu’à 25 ans.

L’enjeu principal est l’adaptation. En effet, la protection de l’enfance est actuellement dans une position où elle attend que ce soit les mineurs qui s’adaptent à son fonctionnement, alors que c’est l’inverse qui devrait avoir lieu. Pour cela, il y a un besoin d’innover, d’aller à la rencontre, d’être proactif : il ne faut pas attendre que les mineurs viennent d’eux-mêmes, auquel cas une grosse partie d’entre eux resteront dans leur situation d’errance, de consommation et d’exploitation.

 

5/ Quelle place Hors la rue peut-elle prendre pour répondre à ces enjeux ?

Hors la rue a cumulé une connaissance et une expertise qui sont précieuses et qui en fait quasiment le seul acteur à fonctionner de cette manière auprès des mineurs étrangers en errance. On manque de savoir sur ce public, les professionnels sont dans le besoin, ils manquent d’informations sur la culture des jeunes, sur les représentations du monde qu’ils ont et on ne peut pas faire de propositions qui tiennent à ces jeunes si on ne comprend pas suffisamment qui ils sont. Il y a un intérêt pratique, de recherche et de conceptualisation. C’est notamment ce travail que réalise aujourd’hui Olivier Peyroux. Je trouve dommage qu’il n’y ait pas d’autres acteurs qui réalisent les mêmes missions qu’Hors la rue et qui permettent de mettre en confrontation les pratiques et d’enrichir la question.

Hors la rue possède un double rôle. En allant directement à la rencontre de ces mineurs, elle fait justement comprendre aux pouvoirs publics qu’ils existent et quelles sont leurs difficultés. Ensuite, pour ces mineurs, l’association permet de les mettre en contact avec des adultes bienveillants, qui viennent vers eux sans jugement ni méfiance et qui vont s’adapter à leur rythme et à leur fonctionnement tout en œuvrant à leur protection et à la résolution de leurs problèmes. Il s’agit là d’une réponse différente de ce à quoi ils sont habitués, leur permettant d’entrevoir une autre perspective que ce qu’ils pensaient être possible jusqu’ici.

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