Approche de la santé psychique à Hors la rue : face à la désubjectivation, quels outils pour (re)devenir sujet ?

 

« La possibilité de se construire comme individu, comme être singulier capable de formuler ses choix et donc de résister aux logiques dominantes, qu’elles soient économiques, communautaires, technologiques ou autres […]. C’est d’abord la possibilité de se constituer soi-même comme principe de sens, de se poser en être libre et de
produire sa propre trajectoire. »

Définition de la subjectivation, selon Michel Wieviorka, La violence, Paris, Balland, 2004, p. 286.

Accompagner les jeunes pour accéder aux soins

Les enfants et adolescents qu’Hors la rue repère et accompagne ont des parcours de vie marqués par des carences affectives, des traumatismes relationnels précoces, des environnements défaillants ainsi que des parcours migratoires complexes et traumatiques. De plus, le passage de l’adolescence, venant fragiliser leur fonctionnement psychique, peut avoir un effet désorganisateur amenant une augmentation des agirs violents, prises de toxiques, mises en danger et conduites d’errance. D’autre part, la majorité des dispositifs de soins actuels partent souvent du postulat qu’il y a besoin d’une demande de soins exprimée par le sujet pour proposer un accompagnement psychothérapeutique. Pourtant, formuler une demande implique des processus psychiques qui font défaut à ces enfants et adolescents.

De ce fait, Hors la rue tente d’instaurer des espaces individuels mais aussi groupaux permettant à ces jeunes d’expérimenter un lien suffisamment stable et fiable pour permettre l’émergence d’une demande à l’autre. L’accompagnement psychologique mis en place à Hors la rue pourrait alors se caractériser à travers le terme de prévention clinique, qui est l’idée de mettre en avant une écoute spécialisée, qui n’est pas que de la prévention (aller-vers, sensibilisation et orientation), ni que de la clinique (thérapie au long cours), mais bien un entre-deux. Il n’y a pas de psychothérapies mises en place, mais cela n’empêchera pas qu’une relation thérapeutique (qui fait du bien, animée par un aspect transférentiel) s’instaure et se maintienne.
En effet, en complémentarité du travail éducatif, différents projets tels que l’art-thérapie, la santé, la mission de lutte contre la traite des êtres humains, la compréhension des vécus psychiques des jeunes et de ses effets sont essentiels, et ce pour plusieurs raisons :

 

La compréhension de la dimension psychique des problématiques des jeunes est nécessaire pour la lecture de leurs situations globales

La constitution du fonctionnement psychique de ces jeunes est impactée par ce qu’ils ont vécu. Leur structuration, encore en construction, est marquée par de nombreuses souffrances, qu’elles soient physiques, sociales, psychiques, engendrant chez eux la mise en place de stratégies de survie. Celles-ci, visibles par des signes qu’ils soient verbaux, non verbaux, comportementaux, amènent chez eux des manières singulières de communiquer, d’être en lien. C’est dans ce cadre relationnel s’instituant au fur et à mesure des rencontres, que viennent alors se loger les cassures, les résistances, les processus psychiques liés aux évènements traumatiques passés et présents. En parallèle d’un cadre répondant à l’urgence, la démarche d’aller-vers, de porter une demande, de créer une alliance se veut signifier dans la relation, l’institution de conditions favorables permettant aux jeunes de se dire (à nouveau) sujet et donc de pouvoir porter une demande. Cette écoute, qui joint le manifeste mais aussi les sous-entendus que nous laisse apercevoir le jeune, engendre la nécessité de la part des professionnels d’avoir une fonction de contenance en vue d’accueillir et de transformer ces stratégies de survie. Ainsi, la mise en place de dispositifs sur mesure, usant de l’informel, donne une possibilité de savoir ce qui se joue pour le jeune dans ce cadre relationnel, tout en essayant de transformer les répétitions vers un processus de symbolisation, c’est-à-dire ce qui peut faire sens.

Ainsi, « ce qui soigne, n’est pas tant de décharger par la parole, ni de voir les fantasmes dévoilés et rendus conscients, ce qui soigne est l’expérience selon laquelle la vie émotionnelle troublée, perturbée, douloureuse, trouve un espace dans lequel elle puisse être reçue et contenue¹». L’équipe pluridisciplinaire, par cette contenance, c’est-à-dire la compréhension de ce qui fait souffrance, se trouve alors être le réceptacle de ce qui est déposé par le jeune, tel que les conflits, les angoisses et la douleur qui en découle. Celle-ci n’est d’ailleurs pas sans conséquence sur l’appareil à penser des professionnels.

Le fonctionnement psychique des jeunes se répercute sur le fonctionnement de l’équipe

Les souffrances que déposent les jeunes dans les relations intersubjectives créent des mouvements, des réactions, et des résonances au sein du fonctionnement de l’équipe. En effet, l’action d’aller-vers les jeunes étrangers en danger va confronter chaque membre de l’équipe à ce qui s’est noué dans le groupe d’appartenance primaire et/ou dans l’environnement défaillant du jeune. De fait, « l’incestualité, les violences meurtrières, la vampirisation, l’emprise tyrannique, les abandons et le bannissement vont se répéter, de manière extrêmement serrée, dans les divers lieux d’accueil où se trouve le sujet²».

L’aspect psychique de ces effets ouvre ainsi la nécessité d’une compréhension complémentaire de ce qui est en train de se répéter (entre les douleurs psychiques des jeunes contenus par l’équipe et les impacts sur celle-ci à travers son fonctionnement). Pour cela, plusieurs instances de réflexions se sont vues évoluer au sein d’Hors la rue, en instituant davantage des espaces permettant l’identification des homologies fonctionnelles pour prévenir au mieux les risques que l’équipe soit sur le même mode de traitement que les jeunes accompagnés. L’espace des différentes réunions est ainsi pensé pour répondre aux deux logiques : celle de l’urgence, et celle du relationnel, tout en faisant attention à les articuler en vue d’accompagner au mieux les jeunes qu’Hors la rue repère, et à fortiori les professionnels qui les accompagnent.

En conclusion, repérer, accompagner, et orienter les jeunes représente un coût psychique pour les professionnels notamment dans les tâches qu’ils font au quotidien. Comprendre, condition essentielle pour contenir les souffrances vécues par les jeunes, passe aussi par une élaboration continue institutionnelle de ce qui se joue pour eux dans leur rapport aux autres, comme ce qui se joue pour le professionnel dans son rapport aux jeunes. Cela amène aussi à accepter de ne pas savoir, de ne pas maîtriser, de loger en soi l’impact des violences subies tout en prenant le temps de ne pas répéter ce à quoi sont confrontés les jeunes depuis leurs enfance : le rejet et l’abandon. Ouvrir le champ des possibles, se donner le temps de la rêverie, être soutenu dans sa créativité, sont autant de pistes que d’outils qui ouvriront les voies vers la possibilité pour les jeunes de se sentir à nouveau sujet.


1. Ciccone, Albert. « Enveloppe psychique et fonction contenante : modèles et pratiques », Cahiers de psychologie clinique,
vol. 17, n°. 2, 2001, p.82

2. Pinel, Jean-Pierre. « Chapitre 3. Le traitement institutionnel des pathologies des limites », Jean-Pierre Pinel éd., Le
travail psychanalytique en institution. Manuel de cliniques institutionnelles. Dunod, 2020, p.72

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